I want you to be crazy 'cause you're borin' baby when you're straight.

Publié le par Elle.


De longs cheveux blonds ondulés et un t-shirt gris, et aussi un café chaud, du tabac à rouler, et puis même des lunettes, et du vernis rose fuschia. Je me dis souvent qu'Elise aurait jamais dû. Elle aurait jamais dû faire les trois mètres qui la séparait de Papa et nous. Je dis trois mètre parce que tout s'est joué quand elle a poussé la porte qu'elle connaissait si bien. La poignée avait toujours été pétée, ce qui fait qu'on fermait jamais la maison. Papa s'en foutait. Quand elle est arrivée, je me souviens qu'elle a reniflé fort, en s'énervant après le printemps et les pollens. Papa a rit et il lui a pris son Panama, son beau Panama en paille, avec une bande de tissu noir, qu'elle avait ramené d'Amalfi. Ca lui a rappelé son voyage en Italie quand il avait dix-sept ans. C'est ce qu'il nous a dit. J'ai jamais su avec qui il avait fait ce fameux voyage. Pourtant, il en parlait souvent. Il disait "on" : "On avait loué une deux CV beige à Naples, et on est allés à Capri sans un sou, comme des cons." Ca le faisait bien marrer. Il nous expliquait tout dans les moindres détails, ses souvenirs avaient l'air limpides, malgré le temps qui s'était écoulé. De l'eau était passé sur les ponts. Elise a levé les yeux au ciel en regardant Papa d'un air désespéré, et lui il riait comme un con. Nous on pouvait rien faire d'autre que la regarder, elle. Du haut de son mètre soixante-quinze. On était tous petits et bruns dans la famille, un peu trappus, pas très beaux. Mais Elise avait jamais vraiment fait partie de la famille. Elle avait été le joli petit canard parmi les vilains, celui qui se barre avant l'âge, celui qui se fout de tout ; qui se jette pas pour autant sur les morceaux de pains, mais qui les bouffe toujours, au final. Philippe aurait été bien emmerdé s'il avait dû expliquer son attitude avec son baratin de psy, il avait toujours essayé de la comprendre, il avait jamais réussi. On aurait dit qu'Elise était une énigme mathématique, une "forme indéterminée" même. Comme l'addition de deux infinis contraires. Reste à savoir si Papa était l'infini positif ou négatif. Faut dire que Philippe avait jamais été un brillant psychologue, en dépit de ce que Papa disait. Lui, il le mystifiait, de toute façon. Papa était pas vraiment objectif quand il parlait de son oncle. J'ai jamais vraiment saisi pourquoi il l'enviait tant, sûrement de vieilles histoires de gosses. Elise, elle, on l'enviait pas, on la désirait. C'était pas quelque chose de sensuel - quoique - mais on la voulait, on la voulait alors qu'elle nous désirait pas. Elle aimait bien nos longs week-ends d'hiver dans la maison de Veules-les-Roses, elle appréciait aussi nos virées printanières improvisées du côté de Bordeaux, quand Papa était tellement bourré qu'il filait le volant à Adrien, qui avait à peine 16 ans. Papa il déconnait sérieusement parfois. Je crois qu'en réalité, Elise avait pas besoin de nous. Elle avait quitté la maison tôt, elle se fichait bien de passer Noël seule, de pas nous avoir au téléphone pendant trois mois. Elle nous faisait confiance, elle nous aimait je crois, elle nous aimait et elle avait l'impression de pas avoir besoin de nous le montrer. On aurait du le savoir pourtant, mais notre cruel manque de confiance en nous nous empêchait de nous rendre compte que son indépendance qu'on prenait, à tort, pour de l'égoïsme n'était rien d'autre que des caprices de muse. C'est vrai qu'Elise inspirait Papa. Il la voyait jamais mais quand il dessinait une femme elle lui ressemblait toujours. Même s'il dessinait une grosse rousse, y'avait toujours un truc qui faisait qu'on reconnaissait Elise. Un je-ne-sais-quoi qui l'avait toujours caractérisé, un détail de son visage qu'on connaissait mieux que personne sans réellement s'en rendre compte. Je sais pas si Papa était conscient de ça. Après tout il l'avait presque mise au monde.
Quand Elise avait sept ou huit ans, Papa répetait toujours : "On a survécu tous les deux ma Lili, on est plus forts qu'Indiana Jones et James Bond réunis." J'ai jamais compris pourquoi. Moi j'avais à peine cinq ans, faut dire. Avec Adrien et Selma on a souvent eu le sentiment qu'il était sa préférée. Pourtant Papa était pas plus câlin avec elle qu'avec nous, il nous traîtait de façon égale, il nous aimait tous autant, mais avec elle, y'avait quelque chose de différents. Quand Elise avait quinze ou seize ans, ils s'engueulaient tout le temps, avec Papa. La moindre petite dispute prenait des proportions énormes. Pourtant ils criaient pas forts, ils s'insultaient pas, mais à table, le soir, quand on voyait Papa devant son assiette de lasagnes râtées (il a jamais su cuisiner correctement), on sentait bien qu'il s'était passé quelque chose. Elise elle était comme d'habitude : silencieuse, à pouffer doucement quand Adrien disait une connerie. Mais Papa, il gardait les yeux fixés sur le tableau que lui avait offert Philippe pour la naissance d'Elise. Il nous parlait normalement, mais sans nous regarder. C'était étrange. Souvent on en profitait pour s'éclipser et aller jouer à la Sega dans la chambre de Tristan.

(To be continued.)

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