Dancing with myself

Publié le par Elle.

Pourquoi il faut qu’elle soit chiante comme ça ? A chaque fois c’est le même topo, quand on se retrouve le soir chez elle, après une putain de journée de fac, elle m’ignore quasiment. Je frappe à la porte de l’appart’, elle vient m’ouvrir en caleçon et débardeur, une clope entre les lèvres, l’air hagard, et elle retourne à ses occupations. Souvent elle bouquine ou elle observe les voisins chez eux par la fenêtre de sa chambre. Moi je reste là comme un con, à quémander des baisers, des caresses, alors je me grille une clope et je me fais cuir un œuf avec des lardons pour faire une omelette. Je partage que dalle, elle a qu’à être plus accueillante. Merde.

« Antoine, tu crois que le voisin d’en face a capté que je le regarde quand il fait à manger dans sa cuisine tous les soirs ?
-    Ouais il a capté. Evidemment. C’est pour ça qu’il met qu’un slip sous son tablier, pour te faire fantasmer.
-    T’es con.
-    Pas autant que toi.
Elle a continué à fixer ce connard de M. Devresne faire revenir ses courgettes dans une poële.
-    Pourquoi c’est pas moi que tu regardes faire à bouffer ?
-    Commence pas.
-    Quoi ?
-    Tu sais bien.
-    Mais non je sais pas, je te parle j’ai envie que tu me répondes.
-    C’est ce que je fais.
-    Tu réponds à côté de la plaque, à chaque fois.
-    Oh tais-toi un peu. J’ai mal à la tête.


Et elle est partie dans la salle de bain. J’entendais l’eau du bain couler, j’avais envie de l’y rejoindre, je sais qu’elle se serait laissée faire, qu’on aurait  fait l’amour, mais ça me disait trop rien. J’avais pas envie de la baiser comme un con, de la voir écarter ses jambes avec lassitude. L’air absent, les yeux dans le vide. J’étais sur le point de la quitter mais j’arrivais pas à consentir au fait qu’on puisse ne plus s’aimer. Qu’elle puisse ne plus m’aimer. Et je comprenais pas pourquoi c’était pas elle qui me larguait, vu que c’était visiblement celle qui s’ennuyait. J’ai mis du temps à comprendre.


« Sérieusement Antoine, tu crois que Barbier est pédé ?
-    Puisque je te le dis. Je l’ai vu avec son mec samedi chez Gibert.
-    Mais qui te dit que c’était pas son frère ? Son pote d’enfance ?
-    Intuition féminine. » J’ai rit. « Nan mais tu regardes pas un pote ou ton frère comme si t’avais envie de le prendre en plein milieu du rayon Mille et une nuits.
-    Mortel !
-    Ouais.
Hadrien a allumé sa clope, terminé son café, puis il s’est levé. Il avait sa pochette en carton sous le bras, une vieille besace sur l’épaule, il m’a fait un signe et il s’est barré. Quand il a traversé il a manqué de se faire écraser, le mec dans la caisse a klaxonné tellement longtemps que tout le monde  à la terrasse s’est retourné.
Je reprenais pas les cours avant quinze heure, si bien qu’il me restait deux putains d’heures à tuer. Pas envie de bosser, pas envie de bouquiner, envie de rien sauf de Bruna. Je l’ai appelée et je suis tombée sur son répondeur : « C’est Bruna, laisse un message ». J’ai dit : « je suis au café, viens s’il te plait »
Quinze minutes plus tard, elle arrivait. Elle avait une robe noire , une veste en jean et une paire de boots niquées, ses cheveux bruns presque noirs étaient un peu crades, ils tombaient lourdement sur ses épaules rondes dont je rêvais nuit et jour. C’était un des détails qui m’avait fait tomber amoureux d’elle. On s’est rencontrés au mois de mai, à cette époque là elle portait toujours une espèce de robe à fleurs qui dévoilait le haut de son buste et donc ses épaules, son décolleté parsemé de grains de beauté et ses clavicules. Sa peau claire. A chaque fois qu’elle mettait cette robe j’avais envie d’enfouir ma tête dans son décolleté tout chaud et d’embrasser ses petits seins ronds. Là c’était différent. Elle avait cet air que j’haïssais : regard blasé, lèvres entr’ouvertes, dégaine typique de la fille usée par la vie. A même pas vingt piges.
Elle s’est assise à côté de moi, j’ai posé ma grande main de mec sur sa petite joue de gamine. Elle me fixait de ses putain d’yeux noirs. J’ai embrassé ses lèvres goût cigarette, et je me suis finalement reculé brutalement. Comme si j’avais fait quelque chose que j’aurais pas du faire. Elle a pas réagi. Bruna avait jamais été une fille très expressive mais là, c’était juste flippant. J’avais l’impression d’avoir affaire à un spectre. A une version délavée et froissée de celle que j’avais aimé des années durant. Je me sentais con d’avoir pas su m’en rendre compte quand les couleurs commençaient à partir. Maintenant il restait plus que le tissu brut, l’étole usée et terne que j’aimais jadis caresser du bout des doigts.
J’ai rigolé comme un crétin. Je sais même pas pourquoi mes cordes vocales ont décidé de se lâcher comme ça. Ca venait du fond de mon bide, ça m’arrachait les entrailles, fallait que je me marre quelques secondes pour me sentir mieux. Enfin mieux, c’est un bien grand mot : pour me sentir moins mal. Moins piteux. Moins bêtement inutile. Dépassé. Dépossédé. Dévasté. C’était ça bordel, je me sentais dépossédé d’un truc qui avait été à moi pendant longtemps, mais dont la possession justement, était trop lointaine pour m’être encore familière. Je me rappelais même plus l’effet que me faisait Bruna avant. Quand elle était ma petite chose et que j’étais la sienne. Son clébard baveux prêt à courir dans tout le jardin pour choper une balle en mousse. La seule chose dont je me sentais capable à ce moment là c’était d’enfoncer ma tête dans ma capuche, et de fermer les yeux tellement fort que des couleurs psychédéliques viendraient remplacer le gris crade du ciel. Finalement j’ai senti la langue râpeuse de Bruna sur ma peau. Elle me léchouillait la joue. Elle avait pris l’habitude de faire ça quand on se retrouvait coincés sous la couette pendant des heures, en hiver, à se faire des mamours comme un vieux couple minable. Quand j’ai rouvert les yeux,  elle était partie.


Partie 1. Y'aura sûrement pas de partie 2. Je préviens.

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D
Dommage, j'en aurais bien aimé une, de suite.
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M
Pourtant j'en voudrais vraiment une de suite.
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C
Je voudrais avoir l'imprimé de tes textes pour toujours les avoir à porter de main et les lire chaque fois que l'envie m'en prend, parce qu'ils sont tout simplement sublimes (L)
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